Ramón Pérez (Espagne, 1964)
Ramón Pérez (Espagne, 1964)
En plus de trente ans d’activité, Ramón Pérez a toujours nourri une relation particulière à la dualité. Né à Bilbao en 1964, ce peintre autodidacte a progressivement glissé d’une obsession esthétique pour l’équilibre vers une représentation presque conflictuelle de l’existence. Si de ses premières toiles paysagistes surgit implacablement, par le balancement des espaces, des couleurs et des textures, une quête perfectionniste à la technique, ses dernières oeuvres déplacent cette inquiétude vers l’Homme. Point de mise en contexte ou de plaidoyer conceptuel préalables à ses travaux. Aucune justification environnementaliste, aucune dimension revendicative. L’art se suffit à lui même.
Au travers de ses séries, se développe une sensibilité accentuée par les choix matériaux. Floutages, dédoublement des visages, anti-académisme des tons, les procédés représentatifs convergent vers un rejet de toute préséance, de tout savoir préalable. Une symbolisation de l’incertitude contemporaine où malgré des siècles de réflexion, de postulats et de théories, chacun, anxieux, erre entre les signifiés que ses propres sens induisent et la bagage sémantique du monde environnant. Forme et fond se rejoignent donc dans une rupture des codes. Enfance et pureté ne portent aucun lien évident. Grossesse et vie ne se complètent pas obligatoirement. Pose et pudeur peuvent se côtoyer. Et ainsi de suite.
Le cheminement de la pensée face à de telles oeuvres aboutit tôt ou tard à des questionnements existentialistes et dialectiques. Car, dès lors que le peintre alimente les contrastes et les oppositions, le spectateur s’interroge. Doit-on y percevoir fatalisme ou exhortation? Les antinomies figent-elles ou peuvent-elles être dépassées? La volonté de Ramón Pérez – qui ne fournit ni recette, ni ligne d’interprétation, se concentrant plutôt sur la traduction graphique de perceptions – invite à pencher pour une connotation existentialiste. Une illustration des concepts d’aliénation, d’anxiété et d’angoisse, sous-jacents aux conflits entre les statuts simultanés de sujet et d’objet. L’enfant, sujet à part entière résulte également objet. De ses parents, d’une société et leurs attentes respectives. La femme, qui s’offre nue, le choisit mais se subit dans la pudeur, la crainte du regard de l’autre. Poussant le jeu plus loin, l’autoportrait confère au peintre la double position. Je suis ce que je peins et peins ce que je suis.
Au final, le choix même d’autoriser l’oeuvre à sa propre vie – libre de toute orientation scénique, stylistique ou théorique -, s’affirme paradoxalement comme geste revendicatif. L’existence naît du soi, et toute « objetisation » environnante est source de tension, de peur voire de désespoir. Ramón Pérez? Un peintre existentialiste, sans aucun doute.