La Synesthésie dans l'Art

Récemment, un article dans la presse anglaise déclarait ceci: un homme goûte le métro londonien. Sortie de son contexte, cette acception peut paraître invraisemblable, même grotesque. Mais ce n’est pas aussi viscéral que cela. A chaque fois que cet homme lit les noms des différentes stations de métro, il goûte littéralement une saveur différente. Ses sens de la vue et du goût se sont chevauchés jusqu’à créer un septième sens, un amalgame « gustato-visuel » qui altère sa perception sensorielle du monde.
James Wannerton - Taste of London
James Wannerton – Taste of London
Par la suite, j’ai expérimenté le même chevauchement des sens lors de plusieurs expositions.  Elles stimulent différentes parties de nos corps, pas seulement par leurs constituants individuels mais aussi au sein de l’espace d’exposition en tant que tout. L’exposition que le Palais de Tokyo consacre en ce moment à Philippe Parreno est une représentation d’une telle synesthésie dans l’art. L’entièreté du Palais de Tokyo a été transformée par Parreno, plongée dans une pénombre industrielle au sein de laquelle ses pièces sont cachées. Présentant à la fois des oeuvres anciennes et récentes, Parreno combine la vue, le son et le toucher pour amener le spectateur plus loin, plus profondément, dans son monde et l’écarter de la clarté extérieure. L’une des salles est remplie de larges néons qui sont allumés à des intervalles aléatoires, mettant en évidence l’interconnexion de la vue, du son et du toucher. L’effet n’est pas celui du chaos; le timing de l’illumination est irrégulier mais rythmique. Tandis que les lumières s’allument et s’éteignent, parfois simultanément, parfois pas du tout, le spectateur est laissé à sa désorientation, comptant le temps par l’éclat des lumières, sentant de la chaleur à travers les pulsations de l’électricité.

Philippe Parreno – C.H.Z., Installation view, 2012 © Serge Hasenböhler
L’exposition de Parreno ne brouille pas seulement la frontière entre les sens individuels mais nous force également à tout sentir simultanément. C’est un type différent de synesthésie que seul l’art peut créer. L’art réellement émouvant peut complètement détruire nos perceptions sensorielles, nous laissant ainsi tels des loques tremblantes. Lorsque je contemple une photographie de Joel Meyerowitz, je ne vois pas seulement des gens dans une foule. Je sens leur chaleur, j’entends leurs murmures et sens leur présence. Le meilleur art est celui qui nous fait sentir, inexplicablement et peut-être inintelligiblement. Définir l’art est impossible mais lorsque nous nous y essayons, nous pourrions dire que c’est un type de synesthésie qui nous permet de goûter, renifler, sentir, entendre et voir un autre monde.
Joel Meyerowitz
Joel Meyerowitz
Encore aujourd’hui, j’ai lu un texte sur un artiste qui a créé une exposition à partir de sa capacité à goûter les mots et les sens. James Wannerton a interprété les ingrédients dîner rôti britannique dans une série de photographies, chacune ayant pour but de représenter sa compréhension synesthésique du monde. A travers son art, en effet, à travers toute oeuvre d’art, nous faisons l’expérience de nos sens en même temps. L’art s’adresse à la synesthésie qui repose en chacun de nous et, par cela, nous pouvons voir le monde avec nos yeux individualistes.
James Wannerton - Taste of London
James Wannerton – Taste of London
(Article traduit de l’anglais)

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