Photographe français diplômé des Gobelins et de l’Université Paris VIII, Alain Delorme avait, en 2007, remporté le prix Arcimboldo avec sa série « Little Dolls ». Souvenez-vous, une galerie de portraits d’enfants pris face à leur gâteau d’anniversaire, figés, sous l’influence d’une main adulte, dans une posture perfectionniste, et numériquement reliftés par l’application d’un masque à l’effigie d’une barbie. Résultat dérangeant, les 21 clichés criaient ce que Rousseau tentait de prévenir dans « l’Emile », le saccage de l’innocence enfantine au profit de dictats ridicules, transformant chaque bambin en une version miniature, une poupée, à l’image de l’être majeur.
Avec la même verve picturale, le même entrain critique, Delorme propose en 2010, la série « Totems », tirée à l’occasion de deux voyages à Shangaï. Certains ont préféré y voir une dénonciation du « Made in China », couvrant leurs globes d’oeillères grossières dans un élan nationaliste qui diabolise Pékin, pourtant meilleur élève de la classe culturelle occidentale. Mais à plus vive observation, un autre constat se force. Point d’accusation qualitative de la force de production asiatique mais plutôt une peinture de la dichotomie sociétale contemporaine où la modernité se divise en deux clans: ceux pour qui tout consommable finit par se jeter et ceux pour qui tout se récupère. Citons à ce propos Raphaële Bertho, historienne de la photographie: « Ces travailleurs traversent la ville charriant des amoncellements improbables. Ces colonnes précaires faites de cartons, de chaises, de bouteilles ou de pneus, apparaissent comme les nouveaux totems d’une société en pleine transformation, à la fois usine du monde et nouvel eldorado de l’économie de marché. »
Dans sa stylisation usuelle favorisant l’éclat de la couleur, quelle que soit la noirceur du discours, Delorme consteste ou interroge, par une symbolisation érectile, les notions de puissance et de survie selon le regard adopté.
Totems (2010)
Little Dolls (2006)
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